Eva NGUYEN BINH, Ambassadrice et Présidente de l'Institut Français, et Emmanuel LINCOT, Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue et chercheur associé à l'IRIS, ont débattu sur le rôle de la diaspora dans une politique d’influence à l’international, à l’occasion d’un débat en ligne animé par Anne GENETET, Présidente du Club France Initiative, le 17 octobre.
La diaspora, levier indispensable
Parce qu’ils ont une connaissance fine et durable du pays où ils sont établis, à la différence des diplomates astreints à la rotation diplomatique, les membres de la diaspora constituent pour Eva NGUYEN BINH un levier d’influence “indispensable”. Aussi appelle-t-elle de ses vœux une cartographie des Français de l’étranger, ainsi que des étrangers qui ont étudié ou travaillé en France et pourraient servir de relais d’influence, et des pouvoirs publics plus à l’écoute pour impulser des dynamiques collectives. Encore faut-il, bien sûr, que la politique d’influence de la France soit formalisée et partagée, et que l’Exécutif mette en exergue tel ou tel aspect du “récit français” en fonction du pays récepteur.
Pour Emmanuel LINCOT, la “diaspora” doit d’abord être distinguée des “ressortissants”. Tandis que les membres de la première sont établis de longue date dans leur pays d’accueil, les seconds n’y sont que de passage, avant de revenir dans leur pays d’origine. La Chine dispose ainsi de deux leviers d’influence en France, avec une diaspora établie de longue date d’un côté, et des ressortissants de l’autre. Quel que soit le cas de figure, le sinologue considère que la Chine déploie un "sharp power" toujours intéressé et intrusif. Quant à la rotation des diplomates, il s’interroge sur la pertinence et la transposition en France d’un modèle américain, avec des diplomates spécialisés par zones géographiques.
La coopération décentralisée
A la question d’un participant sur la coopération internationale décentralisée des collectivités françaises et le retour d’expatriation des fonctionnaires territoriaux, la Présidente de l’Institut Français a tenu à rappeler que l’État français devait veiller à l’unicité de la parole portée par ses représentants vis-à-vis des interlocuteurs, que les jumelages étaient à l’initiative exclusive des collectivités et que les ambassades n’en étaient pas, en conséquence, parties prenantes.
Le Professeur à l’Institut Catholique de Paris a souligné que les collectivités françaises ne disposaient d’aucune marge de manœuvre pour coopérer avec la Chine et son “État-parti”. Il faut donc saisir les opportunités de coopération au cas par cas, pays par pays. Selon lui, l’outil des jumelages devrait être renouvelé entre collectivités de pays européens, par exemple avec l’Ukraine. Selon lui, pour renforcer la construction européenne, il faudrait commencer par développer les jumelages culturels. Ainsi, là où c’est possible, l’État français pourrait se désengager marginalement pour laisser de la place à la coopération décentralisée dans le cadre d’une diplomatie plus informelle.
Les champs de l’influence
Pour les deux débatteurs, bien qu’elle soit souvent entendue dans une acception culturelle, l’influence est nécessairement multiforme - culturelle mais aussi économique, idéologique, scientifique, technologique, etc. La culture est d’ailleurs de plus en plus appréhendée à travers un prisme ouvertement économique, les “industries culturelles et créatives”, qui supplantent “l’art pour l’art à la française”. Autrement dit, l’influence est un “continuum” qui doit être pensé de façon décloisonnée.
Ce faisant, l’Institut Français vient de se doter d’une feuille de route pour la transition écologique, élaborée en lien avec une vingtaine d’Instituts Français et d’Alliances Françaises à travers le monde. Emmanuel LINCOT observe de son côté que l’enjeu de l’influence pour la France est d’abord et avant tout d’apprendre à “faire savoir ses savoir-faire”. Pourquoi, par exemple, les collections françaises des musées ne voyagent-elles pas davantage à l’étranger ?
Une diaspora européenne
A la question de savoir s’il faudrait mutualiser les initiatives d’influence européenne en regroupant par exemple les diasporas européennes à l'étranger, pour faire masse et gagner en influence collective, les débatteurs ont considéré qu’un tel regroupement était pertinent dès lors qu’il existait un intérêt collectif à agir. De tels regroupements ont d’ailleurs déjà eu lieu lors de la crise de la Covid.
Mais, pour avancer, il faudrait une volonté européenne renforcée…
Indicateur clef de l’influence
Pour la Présidente de l’Institut Français, l’indicateur clef serait le nombre d'artistes français programmés par des programmateurs locaux.
Pour le chercheur associé à l’IRIS, il s’agirait de la “capacité assimilatrice” de la France à tisser des liens, de sorte de réussir à se faire relayer à l’étranger par des étrangers.
Quel “récit français” ?
Eva NGUYEN BINH juge que la question des valeurs devrait être au cœur du récit français. A la différence de la plupart des autres pays, la France poursuit ses intérêts, certes, mais en cherchant toujours à promouvoir la compréhension et le dialogue entre les peuples et les cultures, ainsi qu’une certaine vision collective des biens et des défis communs.
De son côté, Emmanuel LINCOT estime que le récit français devrait être axé sur ce que beaucoup d’étrangers admirent dans la France : le fait qu’elle soit une grande civilisation.
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