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INTERVIEW | David FRANCK, l'Ukraine au cœur, envers et contre tout



Marié à une Ukrainienne et habitant de Kiev depuis 11 ans, ancien Président du conseil d'administration du Lycée Français Anne de Kiev, David FRANCK est Conseiller des Français de l'étranger et Président du Conseil consulaire en Ukraine. Le Club France Initiative lui donne la parole à l'occasion du premier anniversaire du déclenchement de la guerre en Ukraine.


Club France Initiative | Une question préalable et personnelle. Vous avez tenu à rester vivre à Kiev en dépit de la guerre : pourquoi ?


David FRANCK | La réponse est simple : je n’ai pas le choix.

D’une part, ma maison est à Kyiv (on ne dit plus Kiev – nom russe), la famille de ma femme est ukrainienne, donc une partie de ma famille est ukrainienne. Certes ma maison est ici mais surtout, il n’existe aucune politique de relogement d’urgence pour les Français de l’étranger (FDE) comme moi. Je milite ardemment depuis un an pour qu’elle puisse exister : suite à une guerre, où loger ces FDE, qui reviennent d’Ukraine, de Russie ou de Biélorussie ; ou suite à une pandémie, la Chine a fermé ses frontières pendant 3 ans, avec la Covid ; ou encore suite à une catastrophe naturelle comme en Turquie ; ou enfin suite à un "changement de politique intérieure" comme au Mali et au Burkina Faso… Le nombre de FDE dans l’urgence va croître dans le futur et il faut que la France se dote d’un dispositif d’urgence. Faire revivre des zones désertées, des villages fantômes, etc. Les FDE ne sont pas tous des nantis, et parfois ont des petites retraites qui ne leur permettent pas de vivre dignement en France. Il faut donc absolument créer des structures d’accueil pour que les FDE puissent se sentir comme des Français à part entière et que la France joue pleinement son rôle de grande puissance, pense à ses compatriotes et puisse les accueillir en cas de besoin.

D’autre part, pendant la deuxième guerre mondiale, on se demandait pourquoi personne n’avait rien dit, ou si peu, ni rien fait, ou si peu : la réponse de nos livres d’Histoire est que personne ne savait. Aujourd’hui, tout le monde sait ce qu’il se passe en Ukraine, mais beaucoup se disent que ce n’est pas leur histoire, ont peur que le conflit s’étende. Les gens se trompent : nous nous devons de résister face à une extermination, des déportations d’enfants, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ! En Ukraine ce sont des résistants et en tant qu’élu français, je dois montrer l’exemple et la solidarité des Français avec les Ukrainiens. La liberté et la démocratie doivent triompher des dictatures, et nous devons être solidaires. Car à l’inverse, le conflit s’étendra sur beaucoup de pays européens.


CFI | Vous vivez donc à Kyiv depuis 11 ans. De Maïdan à l'invasion par la Russie en passant par l'annexion de la Crimée, l'histoire ukrainienne s'est beaucoup accélérée depuis. Quelles ont été les évolutions les plus décisives de l'Ukraine et des Ukrainiens ?


DF | Internet a réussi à ouvrir l’esprit des Ukrainiens qui ont poussé l’ancien président Viktor IANOUKOVITCH à signer un accord avec l’Union européenne. Il devait le faire, pour se raviser au dernier moment, et finalement signer un accord similaire avec le président Russe. C’est le déclencheur de Maïdan en 2014.

Après, les Ukrainiens se sont révoltés, ont réclamé des élections libres, et une de leurs premières mesures a été d’enlever la langue Russe comme étant officielle. J’ai longtemps douté de cette mesure : mais l’avenir leur a donné raison. Les Russes ont envahi l’Ukraine en 2022, en prétextant "sauver" les russophones…

En 2014, lors de l’annexion de la Crimée, l’Occident n’a pas réagi et les Ukrainiens n’avaient pas d’armée. Et depuis le 24 février 2022, le peuple ukrainien est devenu une énorme armée, avec la volonté de défendre son territoire, à n’importe quel prix. La guerre a beaucoup de points négatifs, mais aura aidé à unir tous les Ukrainiens face aux envahisseurs et à lutter également contre la corruption.


CFI | Les relations franco-ukrainiennes avaient connu un nouveau départ depuis 2014, avec notamment l'engagement diplomatique de la France, des projets économiques structurants, une coopération sur la mobilité des étudiants et des chercheurs, le développement de la coopération décentralisée… Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?


DF | Depuis 2014, la France et l’Ukraine ont tissé des liens économiques, qui ont fait oublier les absences de réactions, suite à l’annexion de la Crimée et du Donbass. Toutes ces initiatives économiques sont évidemment essentielles, mais ne sont pas suffisantes. C’est la première marche d’un grand escalier qui mène à la démocratie et à l’Union européenne, de façon pacifique.

Le marché ukrainien est énorme avec un potentiel très fort. Le salaire moyen ukrainien est relativement bas et peut donc concurrencer les bas salaires chinois, à seulement 3 heures d’avion de Paris. Bien entendu, les salaires vont augmenter mais la marge existera encore.

Les Ukrainiens sont des gros travailleurs et les volontés d’apprendre bien réelles. Les points que vous soulevez aident les pays à impliquer leurs populations sur beaucoup de niveaux : Il faut avoir des équivalences pour les diplômes, des échanges d’étudiants, et par la suite implanter des entreprises, avoir des écoles bilingues, faire des accords bilatéraux pour lier les deux pays… Tous ces process sont en cours.


CFI | La communauté française en Ukraine s'est contractée du fait de la guerre. Quelles initiatives pourraient favoriser son retour une fois celle-ci terminée et, plus largement, comment la France pourrait renforcer son influence en Ukraine dans le contexte de la reconstruction ?


DF | La première mesure serait d’abaisser les conseils aux voyageurs, peut-être en faisant une partition de l’Ukraine. Le risque n’est heureusement pas le même que vous soyez à Kyiv ou à Kharkiv. Cela aurait pour conséquence de permettre aux assureurs de couvrir les risques pour les expatriés.

Ensuite, les entreprises doivent s’installer et investir pour créer des usines, des partenariats, des échanges de technologie. La collaboration peut également se placer sur des pôles spécifiques, tels que le domaine aéronautique ou l’exploitation des sous-sols miniers (lithium), domaines dans lesquels les besoins sont considérables.

La France peut également apprendre de l’Ukraine sur - par exemple - la dématérialisation des documents officiels, tels que les passeports ou la carte d’identité. Tous ces documents officiels sont rassemblés sur une application qui est reconnue par les autorités. Vous n’êtes plus obligés de vous balader avec les originaux.

La France ne doit pas uniquement penser à venir en Ukraine pour implanter ses entreprises mais doit également aider les entreprises ukrainiennes à venir s’implanter en France.

La reconstruction ne doit pas se limiter à l’importation de matériaux ou l’implantation d’usines mais peut également se faire grâce au rapprochement au niveau sportif avec des partenariats via les fédérations sportives, des jumelages au niveau des syndicats, des villes…


CFI | Des initiatives parlementaires sont en cours en France pour reconnaître et condamner la grande famine de 1932-1933 dite "Holodomor". Quelles sont les attentes des Ukrainiens à l'égard de la communauté internationale sur ce sujet ?


DF | Le devoir de mémoire est primordial concernant l’Holodomor, la famine orchestrée par Staline en Ukraine, et cet épisode ne doit pas être oublié, mais nous devrons également poursuivre avec la reconnaissance de la tentative, entre 2014 et 2023, d’exterminer le peuple ukrainien par les Russes. Nous l’avions dit : plus jamais ça ; il faut que les mots soient suivis d’actes.

D’autre part, au niveau de l’ONU, il ne sera plus possible de continuer de voir un pays, la Russie, qui a envahi un autre pays, comme un des 5 pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Il n’est plus possible de voir un pays qui a signé des pactes de protection, comme le Mémorandum de Budapest, qui garantit la sécurité de l’Ukraine, bafouer ce traité comme s’il n’existait pas. Le non-respect des engagements écrit d’un pays doit avoir des conséquences telles que ce pays ne doit plus pouvoir s’aventurer sur de tels sentiers sans perdre toute reconnaissance internationale et ses places dans toutes les instances internationales.

Reconnaître les massacres passés permet à une nation d’exister au présent.


Le Club France Initiative n'est pas engagé par les idées, les opinions et les propos contenus dans les interviews, lesquels n’engagent que leurs auteurs.

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