Dans le cadre des Entretiens du Club France Initiative, Vincent BERTHIOT, co-fondateur du Club, échange avec Simon ANHOLT, conseiller politique indépendant et créateur du Good Country Index, sur le thème "La France est-elle un pays positif pour le monde?".
Parmi les questions abordées : où se situe le soft power français dans le Good Country Index ? Qu'est-ce qu'un bon leader selon le Good Country Index ? Comment devenir un "bon pays" face aux populismes et dans le nouvel ordre international ? Etc.
Ci-dessous, visionnez l'entretien en anglais (sous-titré en anglais) et lisez la transcription de l'entretien en français.
Entretien avec Simon Anholt – version française
Club France Initiative – Vincent Berthiot
Bonjour Simon. C'est un grand plaisir de vous parler au nom de du Club France Initiative.
Permettez-moi de vous présenter. Simon Anholt, vous êtes un conseiller politique indépendant. Au cours des 20 dernières années, vous avez travaillé pour des gouvernements du monde entier sur des questions telles que les relations internationales, la diplomatie publique et la coopération internationale.
Vous avez fondé le Good Country Index, le Good Leader Index et le Global Vote. Nous y reviendrons plus en détail au cours de l'entretien.
Vous avez écrit six livres et le dernier : The Good Country Equation : How We Can Repair the World in One Generation a été publié en octobre 2020. Vous avez fondé une revue universitaire intitulée "Place Branding and Public Diplomacy".
Enfin, votre TED talk de 2014 à Berlin sur : " quel pays fait le plus de bien au monde ? " a obtenu plus de sept millions de vues, le plus grand nombre jamais regardé sur des questions gouvernementales.
Simon, merci beaucoup. Nous avons beaucoup à apprendre de vous.
Commençons par la première question. Pouvez-vous nous donner votre avis sur l'état du soft power et de l'image de la France au regard de l'indice du bon pays ?
Simon Anholt – conseiller politique indépendant – auteur du « Good Country Index »
Merci pour cela et merci pour la très gentille introduction, je suis épuisé d'entendre parler de toutes les choses que j'ai faites. Il est temps que je prenne des vacances.
Permettez-moi donc de commencer par refuser de répondre à votre question. Je ne suis pas très enthousiaste à l’idée du « soft power ». Ce n'est pas une expression que j'utilise très souvent moi-même. J'ai une grande admiration pour le professeur Nye, l'inventeur de ce concept, mais je pense qu'il aurait dû être revu depuis longtemps. Le problème du soft power est qu'il s'agit toujours du langage du pouvoir. Il s'agit toujours des moyens par lesquels les nations peuvent s'élever ou avoir la primauté les unes sur les autres. Et je pense que c'est le principal problème dans le monde tant que les nations tentent de prendre l'ascendant les unes sur les autres. Nous allons tous perdre. Je pense donc que nous devons de toute urgence changer la culture de la gouvernance dans le monde entier, en passant d'une culture fondamentalement compétitive à une culture fondamentalement collaborative.
Et alors, nous cessons de penser au soft power ou au hard power ou au fait de gagner ou de perdre. Nous commençons à penser à la façon dont nous pouvons travailler ensemble pour nous aider et pour aider les autres. C'est un changement très important.
Cela dit, le concept de pays exerçant une certaine attraction dans le monde est très réel, il vaut la peine d'essayer de le mesurer et il est très significatif. La France, bien sûr, est une superpuissance du soft power. Elle est à bien des égards, mais elle excelle dans l'ère moderne, une nation de soft power parce qu'elle n'exerce pas beaucoup de hard power.
Bien sûr, c'est une puissance nucléaire, mais nous ne nous attendons pas à ce que la France commence à bombarder la Corée du Nord de sitôt. La France a de grandes forces qui participent à son attractivité. Elle a une culture extraordinaire, des gens extraordinaires, une cuisine extraordinaire, des paysages extraordinaires, une langue extraordinaire. Je vous dis des choses que vous savez déjà.
Vous avez posé une question sur l'indice du « bon pays », que l'indice du « bon pays » tente de mesurer ce que chaque pays de la planète apporte au monde en dehors de ses propres frontières. À cet égard, il est donc très différent de tous les autres classements de pays. Tous les autres classements de pays mesurent les performances dans une certaine mesure au niveau national. Dans quelle mesure êtes-vous transparent ? Dans quelle mesure êtes-vous productif ? Êtes-vous progressiste ? Dans quelle mesure êtes-vous écologique ? Ou quoi que ce soit d'autre. L'indice du « bon pays » demande ce que vous faites pour le reste de la civilisation, pour le reste de l'Humanité et pour la planète. Je pense qu'il s'agit d'une question très importante à poser au XXIe siècle, à l'ère des défis mondiaux, car nous ne pourrons résoudre les défis mondiaux tels que le changement climatique ou les pandémies que si nous pensons à notre contribution à l'extérieur de nos frontières. Ce que j'appelle l'étalon-or de la bonne gouvernance est donc un pays qui harmonise efficacement ses responsabilités nationales et internationales. Il fait ce qu'il faut pour son propre peuple et fait ce qu'il faut pour le plus grand nombre possible d'autres peuples. La France fait donc bonne figure dans l'indice des « bons pays ». Elle se classe au septième rang. Cela signifie donc qu'elle est l'un des pays qui contribuent le plus au reste du monde. Je ne sais pas si vous appelez cela le soft power. J'appelle ça être un « bon pays ». La France, selon l'indice, est un « bon pays ».
Club France Initiative – Vincent Berthiot
OK, merci beaucoup pour vos remarques sur la France.
Un autre outil très pertinent pour notre travail est le « Good Leader Index ». Pouvez-vous nous dire comment les "moins mieux" et les "plus mieux" dirigeants peuvent avoir un impact sur la scène mondiale ?
Simon Anholt – conseiller politique indépendant – auteur du « Good Country Index »
De la même façon, les bons et les mauvais dirigeants peuvent avoir un impact sur la scène mondiale et l'indice des bons dirigeants remplit exactement la même fonction que l'indice des « bons pays », mais en s'intéressant aux décideurs politiques individuellement, aux dirigeants des pays, mais parfois aussi aux dirigeants des organisations, voire des entreprises, plutôt qu'au pays dans son ensemble, il n'est pas basé sur des données. Il est basé sur ma propre opinion. Il s'agit donc d'une opinion éditoriale dans le cas de « l’indice de bon leader ». Ce que cela tente de faire, c'est d'attirer l'attention des gens sur l'idée qu'un « bon leader » n'est pas seulement quelqu'un qui fait ce qu'il faut pour sa propre population. C'est une idée ancienne. L'idée moderne devrait consister à se demander non pas si le pays se porte bien, mais dans quelle mesure il se porte bien ? Et l'une des choses que je rappelle toujours aux gouvernements dans mon travail de conseiller politique est que lorsque vous devenez président ou premier ministre d'un pays, vous rejoignez l'équipe qui dirige la planète.
Cette idée de l'Amérique d'abord. Eh bien, il n'y a rien de très scandaleux à ce que Trump dise "l'Amérique d'abord". C'est une déclaration évidente. Bien sûr, si vous êtes élu pour être le président de votre pays, vous devez traiter les intérêts de vos propres citoyens en priorité. Mais ce que je n'ai pas aimé dans l'approche de Trump, c'est l'idée que l'Amérique d'abord signifie que tous les autres doivent passer en dernier. C'est une vision très déprimante, très démodée et très appauvrie, je pense que cette gouvernance est tragique.
Qu'un président américain prêche cela en particulier alors que l'Amérique, de tous les pays depuis qu'Alexis de Tocqueville l'a observé pour la première fois, était le pays qui semblait comprendre qu'en aidant les autres pays à atteindre leurs propres objectifs, il pouvait finalement atteindre ses propres objectifs plus efficacement… Que Donald Trump n'en ait pas eu conscience ou l'ait oublié est en fait assez surprenant après toutes ces années.
Le « Good Leader Index » classe donc les dirigeants sur cette échelle. Que faites-vous pour le monde en dehors de vos frontières ? En même temps, le "plus mieux dirigeant" est celui qui réalise ce mélange le plus efficacement.
Et je sais pourquoi vous me posez la question, c'est parce que M. Macron a été présenté comme le "moins mieux dirigeant" il y a quelques mois. C'était à la suite du terrible assassinat de l’enseignant M.Samuel Paty. C’est la réponse publique de M. Macron, qui, à mon avis, visait plus que nécessaire à plaire à l'opinion publique française, tout en risquant de susciter davantage de sentiments anti-musulman au niveau international et en France également. Alors qu’il est un acteur généralement très bon à l’international, je pense qu'à cette occasion, il n’a pas très bien joué. Je pense qu'il a pris le risque de créer une perturbation internationale dans le but de rassurer certaines électeurs nationalement.
Club France Initiative – Vincent Berthiot
On a effectivement pu constater que cela avait généré de nombreuses manifestations à travers le monde. Donc vous avez probablement raison quant à votre analyse.
Notre question suivante : si vous deviez conseiller le gouvernement français, nous ne parlerons pas de soft power car vous avez déjà dit ce que vous pensiez de ce concept, mais que recommanderiez-vous pour être un « bon pays » ? Je veux dire, selon vous, il semble qu'être un « bon pays », c'est faire le bien. Agir bien à l’international, c’est finalement ce qui est le plus important. Que pouvons-nous donc faire pour y parvenir ?
Simon Anholt – conseiller politique indépendant – auteur du « Good Country Index »
Eh bien, le message fondamental de mon dernier livre, The Good Country Equation, est basé sur des recherches que je mène depuis 20 ans et qui tentent d'identifier la recette du progrès économique dans un pays. Comment certains pays deviennent-ils plus rapidement riches et prospères, plus stables et plus pacifiques que d'autres ? Et il s'avère que l'un des facteurs les plus importants est la qualité de l'image du pays. Si le pays est bien considéré et respecté par le reste du monde, cela signifie automatiquement qu'il y a plus d'investissements étrangers, plus de tourisme, plus de gens qui achètent vos produits et services. C'est bon pour le commerce, c'est bon pour la diplomatie. C'est exactement comme dans le secteur des entreprises : si votre produit a une bonne et puissante image de marque, vous gagnerez plus d'argent. Il s'avère, grâce à mes recherches, que le même fait identique est vrai pour les pays. Si, en tant que pays, vous avez une bonne image, vous gagnerez plus d'argent.
La question suivante est donc évidemment : comment obtenir une bonne image ? D'où vient-elle ? Et la réponse ne vient pas de la propagande. De nombreux pays ont gaspillé une énorme quantité d'argent pour dire à tout le monde à quel point ils sont merveilleux. Et devinez quoi ? Personne n'écoute. Ils ne sont tout simplement pas intéressés. Cela ne fonctionne tout simplement pas. La propagande est possible si vous êtes Staline, Goebbels ou Kim Jong Un et que vous opérez sur votre propre peuple. Mais au niveau international, ça ne marche pas. Ça n’a jamais marché et ça ne marchera jamais.
Ce que la recherche montre très clairement, c'est que la meilleure façon d'obtenir une bonne image est de contribuer au monde extérieur en dehors de vos frontières, de sorte que les gens se sentent heureux que votre pays existe.
Et donc, si la France veut bénéficier d'une bonne image, si elle veut plus de commerce, plus de tourisme, plus d'investissements étrangers, alors elle doit être associée dans l'esprit des gens au fait d'être un bon voisin, un bon acteur international, pas seulement en Europe mais dans le monde entier. Les gens se sentent-ils heureux que la France existe non seulement en raison de ses atouts en matière de culture, d'histoire, de paysages et de cuisine, mais aussi en raison de la manière dont elle se comporte dans le domaine international ?
Ma réponse au gouvernement français, s'il me pose cette question, serait donc exactement la même que celle que je donne à tous les gouvernements. Décidez de ce que vous pouvez faire pour contribuer à l'amélioration de l'Humanité et de l’avenir de la planète tout en améliorant les choses dans votre propre pays. Tenez-vous-en à cela pendant une génération et vous gagnerez une meilleure réputation. C'est absolument inévitable. Et à mesure que vous gagnerez une meilleure réputation, vous améliorerez votre balance commerciale.
Club France Initiative – Vincent Berthiot
OK, je sais que nous manquons de temps, mais je voudrais vous poser une dernière question. Être un « bon pays » signifie fondamentalement, ne pas être égoïste, mais comment pouvons-nous y parvenir à un moment où les valeurs libérales sont remises en question par les mouvements populistes et aussi par un nouvel ordre mondial ?
Simon Anholt – conseiller politique indépendant – auteur du « Good Country Index »
Eh bien, encore une fois, c’est un élément central de cette problématique. C'est une autre raison pour laquelle cet élément mystérieux de l'équation, l'équation de l'image nationale, est très important, parce que l'une des choses qui caractérisent les populations nationalistes, illibérales, repliées sur elles-mêmes, c'est qu'elles veulent que tout le reste du monde admire leur pays. Elles veulent être respectées. Elles veulent être admirées. Elles veulent même être craintes. Et cela fait donc partie de la même équation. Même un dirigeant très nationaliste, court-termisme, populiste, illibéral, doit comprendre que s'il veut, car c'est presque toujours le cas un homme, conserver l'admiration de la population, il doit améliorer le profil et l'image de son pays. Vladimir Poutine passe une bonne partie de son temps à essayer de rassurer le peuple russe en lui disant que grâce à Vladimir Vladimirovitch, la Russie est universellement admirée, crainte et respectée. C'est exactement le même principe. Ainsi, plus un pays fait pour gagner ce respect, plus la population nationaliste admirera ce dirigeant particulier. Donc les deux choses ne sont vraiment, vraiment pas opposées l'une à l'autre d'une manière surprenante. Peu importe la politique, qu'elle soit de gauche, de droite, nationaliste ou mondialiste, les mêmes règles s'appliquent.
Vous ne pouvez pas fonctionner de manière efficace et productive dans l'environnement international, quels que soient vos objectifs, sans un certain niveau de respect et d'admiration de la part du reste de la communauté internationale. Si vous êtes un paria, si on vous ignore, si on vous rejette, si on vous manque de respect, alors vous ne pouvez atteindre aucun de vos objectifs, quels qu'ils soient. La Corée du Nord en est l'exemple parfait, car elle ne bénéficie pas du respect de tous les autres acteurs de la communauté internationale. Par voie de conséquence, la Corée du Nord ne peut même pas nourrir sa propre population.
Club France Initiative – Vincent Berthiot
Excellente source d’inspirations. Merci beaucoup Simon !
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