Après l'explosion du port de Beyrouth le 04 août dernier, les pays arabes et occidentaux ont pris l'initiative d'exprimer leur solidarité, de présenter leurs condoléances et de s'engager à soutenir Beyrouth. Certains ont envoyé des avions chargés de médicaments et de nourritures, tandis que d'autres ont pris en charge un contingent de blessés. Ceci dit, pendant ses vacances estivales, le Président de la République Française a décidé de surprendre tout le monde en se rendant sur place.
La première visite d’Emmanuel Macron à Beyrouth a plusieurs lectures. Ces différentes lectures peuvent traduire le succès du chef d’État Français à communiquer directement avec les Libanais. Le Président est descendu dans les rues de Beyrouth et a écouté une partie de la population qui réclamait la chute du régime. Ainsi, la scène de cette femme libanaise embrassant chaleureusement le Président Français dans le quartier de Gemmayzeh n’a pas été la seule à attirer l’attention des observateurs de la visite du chef d’État Français, dans une zone complètement dévastée, deux jours après l’explosion.
Tout en ayant en tête l’horreur des scènes post-apocalyptiques provoquées par l’explosion, il a été dépassé par la situation, subjugué et transporté par l’émoi qu’aurait pu susciter l’accueil très chaleureux du peuple Libanais.
La frustration et le désespoir apparaissant sur le visage de la jeunesse libanaise ont été la motivation la plus importante pour rechercher en la personne du Président Français un sauveur, indépendamment de l’objectivité de la demande et des capacités du sauveur.
Face à la promesse de Macron d’aider les Libanais, ses bénéficiaires lui ont demandé de ne pas remettre l’argent des aides humanitaires au gouvernement Libanais. Cette demande peut résumer, à elle seule, le climat de défiance qui vient d’ajouter aux séries de crises financières, économiques et sanitaires une crise politique d’une ampleur inédite.
La visite du Président de la République Française au Liban, dans un contexte si particulier, porte des messages qui dépassent les images de solidarité ou de sympathie. Indubitablement, ce qu'il a fait pour ce pays, en 20 heures, les propres gouvernants du pays ne l’ont pas fait en 20 ans de gouvernance.
Il n'a pas visité le Liban à titre personnel mais en sa qualité de chef d’État. C'est une démarche qui s’inscrit parfaitement dans le fil de l’héritage Chiraquien d’inspiration Gaullienne. Le Président de la République Française a parlé au nom de la France et a promis le soutien de la France au Liban. Dans ce contexte, la visite de chef d’État Français est un geste diplomatique que beaucoup ont qualifié d'astucieux et d’audacieux.
Bien que les relations franco-libanaises ont des racines pluriséculaires, le rôle de la France s’est amoindri ces dernières années en raison de nombreux facteurs, notamment du déclin de l'influence française dans la région et dans le monde arabe en général, et l'émergence d'autres acteurs plus influents et plus forts au Liban et dans l’ensemble de la région.
L’engagement d’Emmanuel Macron renforce sa position à l'intérieur et à l'extérieur de son pays, et peut lui donner une place privilégiée dans le projet de reconstruction de ce qui a été détruit à Beyrouth. D’ailleurs, la communauté Libanaise en France, d’environ 227 000 ressortissants, est fortement implantée contre 27 000 ressortissants Français vivant au Liban, sans oublier les quelques milliers de binationaux vivant entre les deux rives de la Méditerranée.
Le discours prononcé à la suite de sa tournée dans la ville était limpide. En effet, ce dernier a annoncé « Un financement est disponible pour le Liban, mais ses dirigeants doivent d'abord mettre en œuvre des réformes », avant d’ajouter : « La confiance et l'espoir doivent être reconstruits, et cela ne se rétablit pas du jour au lendemain, mais nécessite plutôt la reconstruction d'un nouveau système politique ». Les déclarations de chef d’État Français ont ouvert la porte à de nombreuses spéculations sur la manière dont la France pourrait profiter de la crise libanaise politiquement et économiquement.
Le Président de la République Française a été clair : il faut que les autorités Libanaises changent de comportement.
A quelques heures de la seconde visite du Président pour célébrer le Centenaire de la proclamation du Grand-Liban (célébration initialement prévue en grande pompe), les autorités ont prouvé, en nommant un nouveau Premier ministre, qu’elles étaient en mesure de changer, pour le moins dans la forme. La nomination d’un diplomate, alors inconnu du grand public, est certes un pas timide, mais elle pouvait rassurer le visiteur français. Comme le dit le dicton, « un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas ».
C’est justement dans cette direction qu’Emmanuel Macron essaye de plaider depuis le début, en mettant les autorités devant leur responsabilité. Sans vouloir glisser sur un terrain instable, le Président de la République a voulu pousser les dirigeants Libanais à inventer une nouvelle ’’formule’’ adaptée à la spécificité du Liban. Indéniablement, cette deuxième visite a pu consolider les liens historiques et diplomatiques entre la France et le Liban.
Malgré tous les points positifs des deux visites présidentielles au Liban, l'initiative française va-t-elle réussir ou risque-t-elle de faire face à la même impasse qui a conduit à la situation actuelle ? Une chose est sûre : cette situation a fait du pays du Cèdre un État de crises à la recherche de solutions.
Joseph ATALLA
Enseignant à Sciences-Po, spécialiste du Moyen-Orient.
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