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NOTE | Emmanuel LINCOT revient sur le rôle de la diaspora dans une politique d'influence




Après son débat avec Eva NGUYEN BINH, Ambassadrice et Présidente de l'Institut Français, Emmanuel LINCOT revient dans une note de synthèse sur la question "Quel rôle pour la diaspora dans une politique d'influence à l'international ?". Emmanuel LINCOT est Professeur à l’Institut Catholique de Paris, sinologue, chercheur associé à l’IRIS. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Chine et terres d'islam, Géopolitique du patrimoine et Chine, une nouvelle puissance culturelle.


1/ Le rôle actuel de la diaspora chinoise dans la politique d’influence de la Chine


Emmanuel LINCOT : Il est essentiel car cette diaspora est présente sur les cinq continents et constitue autant de relais d’influence pour la Chine. Les deux plus anciennes diasporas chinoises au monde sont celles de la Californie (30 % de ses habitants sont d’origine asiatique et notamment chinoise) et de la France (établie dès la fin de la première guerre mondiale). Il convient toutefois de la dissocier de ceux que l’on appelle les ressortissants (280000 personnes au début des années 80 ; 150 millions avant la pandémie) c’est-à-dire des hommes d’affaires, des étudiants qui, eux, n’ont pas vocation à rester dans le pays d’accueil.


Quoi qu’il en soit, ce sont ces communautés que Pékin vise dans le choix de sa politique d’influence. Chaînes de télévision, maillages associatifs et réseaux sociaux permettent de les souder autour des valeurs que promeuvent l’Etat-Parti. Les communautés chinoises de France (les plus nombreuses d’Europe) doivent en cela retenir toute notre attention car elles peuvent aussi bien servir d’intermédiaires entre la Chine et nous que servir de levier idéologique pour le régime de Pékin. La mobilisation de manifestants par le biais de l’ambassade de Chine à Paris en 2016 en a été la preuve à la suite de l’assassinat d’un ressortissant. Jamais autant de personnes originaires de Chine n’avaient été ainsi mobilisées.


En cela, la Chine en tant que dictature pratique un Sharp power et non un Soft Power. Cette politique a pu fasciner un électorat assez conservateur en France au même titre que la fascination qui s’exerce autour de la Russie mais la diplomatie agressive de Pékin depuis la pandémie a depuis lors très largement terni son image.


2/ Les leçons pour la diaspora française dans la politique d’influence de la France


Emmanuel LINCOT : elle souffre de ne pas être suffisamment associée à la politique initiée par le pouvoir régalien depuis l’Hexagone. Or les communautés françaises de l’étranger pourraient servir de relais d’opinion pour autant que les conditions politiques locales les y autorisent. Aucune entrave naturellement dans les pays de culture démocratique. En revanche, il en va tout autrement dans des pays dictatoriaux où les autorités ne reconnaissent de toute façon comme interlocuteurs que les seuls diplomates.


En cela, les pratiques diplomatiques françaises doivent s’adapter. Nos budgets doivent aussi s’adapter. Le discours français doit également s’adapter. Je ne suis absolument pas convaincu de ce slogan asséné depuis des décennies et selon lequel le français en tant que langue devrait être défendue. La démographie s’en charge, naturellement. En 2050, donc demain, le nombre de locuteurs francophones aura explosé, dépassant les 750 millions de personnes et conférant ainsi au français le rang de troisième langue parlée dans le monde. Les Chinois s’y préparent en ouvrant dans chacune de leurs universités un département de français. Ce n’est pas tant pour l’amour de la langue de Molière que leurs intérêts en Afrique.


Nous devons aussi nous adapter en termes de stratégie de langage. Un exemple : la majorité de nos interlocuteurs musulmans considère par exemple que nos positions sur la laïcité sont inaudibles. Pourquoi ne pas leur parler de notre « civilisation » ? Car la France, qu’on se le dise, n’est pas née en 1789. De même pour les Droits de l’Homme : une politique d’accueil discrète et efficace des élites russe ou chinoises sera plus efficace sur le long terme que de faire des Droits de l’Homme un étendard. Avançons par ruse : nous sommes en tant qu’Européens les enfants spirituels d’Ulysse mais aussi de Richelieu et du Général De Gaulle.


3/ Le chemin pour y parvenir


Emmanuel LINCOT : avoir l’intelligence des situations. Les moyens financiers entrent en seconde considération.


Jouer davantage la carte européenne aussi et œuvrer dans le sens d’une reconnaissance de la culture européenne à l’étranger. Les étrangers nous envient parce que notre pays est beau, divers et…Européen. Mettons-le en avant ! De même qu’il est capital que nos navires, nos avions arborent en plus de notre drapeau national, le drapeau européen. Ce sont ces petits riens qui feront toute la différence.


Avoir l’intelligence des situations c’est aussi choisir de bons linguistes en poste dans nos ambassades à l’étranger. Les vrais sinisants parmi nos ambassadeurs nommés en Chine depuis un demi-siècle se comptent sur les doigts d’une main, par exemple. L’inverse n’est pas vrai. Je suis également médusé par la méconnaissance de nos contemporains, y compris parmi nos hommes d’affaires, concernant les grands enjeux stratégiques contemporains. Cette sensibilisation prendra des années mais nous devons nous y préparer.


4/ La proposition prioritaire concrète


Emmanuel LINCOT : nommer un ambassadeur de la culture pour la France pour chaque grande aire géographique du monde et si possible un écrivain, un artiste ou un intellectuel qui permette à nos interlocuteurs de renouer avec une certaine image et ce que la France représente encore à l’étranger lorsque l’on murmure encore les noms de Versailles, de Malraux ou celui du chorégraphe Angelin Prejlocaj.


Ces noms nous honorent et transmettent à l’étranger une image de la France qui va de pair avec les notions d’accueil, de courage et d’excellence. Ce sont ces valeurs humanistes qui nous fondent et sur lesquelles nous sommes également attendus.


5/ L'indicateur prioritaire de l’influence


Emmanuel LINCOT : l’intelligence.


Que ce soit celle de l’esprit ou du cœur. Savoir écouter ses interlocuteurs, sans les juger et avoir une seule obsession : la grandeur.







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