LE CERCLE/TRIBUNE - Dans un texte, Anne Genetet, députée LREM des Français de l'étranger, regrette le désintérêt de notre pays pour l'Asie du Sud-Est, cinquième bloc économique mondial. La parlementaire plaide pour une autre stratégie diplomatique dans cette région.
Les jours qui viennent seront décisifs pour l'avenir de la zone de libre-échange Asean avec les élections en Thaïlande , le 24 mars, puis celles en Indonésie , le 17 avril, et enfin les élections de mi-mandat du président Duterte aux Philippines , le 13 mai prochain. En France, qui s'en soucie ?
Pourtant l'Asean est sans aucun doute la région avec l'un des plus forts potentiels pour notre économie dans les années à venir. Le secteur privé l'a d'ailleurs bien compris. Les investissements français ayant progressé dans presque tous les pays de la région ces dernières années.
Le président Emmanuel Macron ne s'y est pas trompé également en accueillant, en juin dernier, le Premier ministre thaïlandais et en faisant de Singapour l'invité d'honneur du défilé du 14-Juillet 2018. Le basculement irrémédiable du centre du monde vers l'Asie doit nous faire prendre conscience de l'impérieuse nécessité de réinterroger notre stratégie à l'international.
Succès économique
On impute le plus souvent le succès de l'Asie à la Chine, au Japon et à la Corée du Sud. Néanmoins, l'évolution économique et sociale des pays du Sud-Est asiatique est aujourd'hui tout à fait considérable. Avec un PIB cumulé de 2.800 milliards de dollars américains en 2017, l'Asean est le cinquième bloc économique mondial, derrière l'Union européenne, les Etats-Unis, la Chine et le Japon. Avec une croissance supérieure à 5 % depuis 2011, elle est aussi l'une des régions les plus dynamiques au monde.
Ce succès économique profite aux populations locales qui voient leurs revenus augmenter, ce qui se traduit par de nouvelles habitudes de consommation parmi lesquelles la France par ses produits, son ingénierie, son savoir-faire et son offre touristique peut tirer son épingle du jeu.
Enfin, des projets structurants comme par exemple l'« Eastern Economic Corridor », en Thaïlande, méritent que la France et son écosystème international se mobilisent pour devenir un partenaire incontournable des pays de l'Asean.
Présence diplomatique
Le désintérêt porté à cette région du monde (qui, il est vrai, est bien loin de Paris !) est pour moi symptomatique du manque de réalisme français et m'invite à m'interroger sur notre stratégie à l'international. Il faut repenser notre modèle diplomatique.
Les bouleversements profonds des équilibres du monde, tout comme l'inévitable contrainte budgétaire, doivent nous amener à définir des priorités. Au risque de froisser les beaux esprits, notre priorité diplomatique doit être l'internationalisation de notre économie. La compétition mondiale ne nous laisse aucun autre choix. Plus d'entreprises exportatrices, plus de tourisme, plus d'accords commerciaux, plus de partenariats scientifiques, c'est plus d'emplois en France, plus d'innovation et c'est aussi plus de paix dans le monde.
Notre présence doit aussi être réévaluée. Nous disposons du troisième réseau diplomatique mondial, c'est une fierté mais c'est aussi un poids. Il m'apparaît que notre volonté de faire des choix stratégiques et l'émergence nécessaire d'une diplomatie européenne pourraient nous amener à revoir notre présence en fonction de nos intérêts nationaux.
Notre présence systématique - et parfois massive - au sein des pays de l'Union européenne est-elle aujourd'hui toujours aussi essentielle ? Dans un contexte de rationalisation et de redéploiement de notre dispositif, l'Asean, au même titre que l'Afrique francophone, pourrait être une région prioritaire pour notre pays dans les années à venir. Et simultanément, face à la superpuissance chinoise, l'Union européenne est le seul interlocuteur crédible capable d'équilibrer les débats.
Politique d'influence
Tous mes déplacements au sein de ma circonscription [Europe orientale, Asie et Océanie, NDLR] me font dire qu'il faut réinventer la propulsion à l'international de nos entreprises. La réforme lancée il y a déjà un an, à Roubaix, par le Premier ministre est un « premier pied dans la porte ». Mais on le voit bien sur le terrain, il faut aller plus loin.
D'ailleurs dans le cadre du grand débat national, nombreux ont été nos concitoyens à l'étranger à formuler des propositions en ce sens. Simplifier ne suffit pas. Une plus grande agilité, une impérieuse coopération, une indispensable coordination de toutes les parties engagées sont urgentes, avec un objectif clair : mettre tout en oeuvre pour désormais chasser en meute ! Et incarner l'aphorisme « ensemble, on va plus loin ».
En outre, il faut développer une vraie politique d'influence. Dans ce cadre, la promotion de notre pays doit être totalement dépoussiérée en mettant l'accent sur un usage moderne des outils numériques qui dépasse la transcription de télégrammes diplomatiques. La diplomatie parlementaire a également un rôle bien plus important à jouer. Elle ne peut plus se contenter de visites de courtoisie ou d'échanges sur les bonnes pratiques des uns et des autres. Elle doit servir à tisser des liens forts et intimes avec le ou les pays dans lesquels les parlementaires ont choisi de s'engager.
Enfin, il faut mieux impliquer les Français qui vivent à l'étranger car ils sont nos meilleurs ambassadeurs dans la compétition mondiale. Ils connaissent la culture, les langues, les coutumes, le potentiel des pays dans lesquels ils résident. Notre nouveau modèle diplomatique devra faire de nos communautés, à travers le monde, un des piliers des futurs succès de notre pays dans la mondialisation. En ce sens, l'Asean serait l'espace idéal pour mettre à l'épreuve une stratégie à l'international décomplexée.
Anne Genetet est députée (LREM) de la 11e circonscription des Français établis hors de France.
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