Comme il y a une saison des prix littéraires, il y a une saison des classements d’universités et d’établissements. Ceux de 2020 donnent des signes plutôt positifs pour l’enseignement supérieur français et on peut voir dans cette tendance un levier d’influence qui s’affirme, tout en gardant à l’esprit les limites et les effets pervers de ces classements, ainsi que le chemin qui reste à parcourir.
Alors que les Etats-Unis sont familiers des classements de leurs universités depuis longtemps, c’est il y a une vingtaine d’années que sont apparus des classements internationaux d’abord dans un domaine restreint, les “business schools”, puis plus largement des universités. On connaît ainsi les classements du Financial Times des programmes et écoles de management, ils se sont multipliés au fil du temps. Au début des années 2000 sont apparus de nombreux classements internationaux d’universités, dont le fameux “classement de Shanghai”, établi à l’origine par l’université Shanghai Jiao Tong. Il est intéressant de noter que l’origine de ce classement est un besoin de “benchmark” pour hisser cette université, très réputée en Chine, au niveau des références mondiales.
On connaît les nombreuses limites de ces classements, notamment celui de Shanghai. Pour faire simple, ils laissent croire que tout peut et doit se mesurer, que ce qui est compté est ce qui compte, alors qu’ils sont basés sur des critères certes rigoureusement explicités mais éminemment biaisés. Dans le cas du classement de Shanghai, c’est entre autres le choix des indicateurs qui pénalise les universités plutôt spécialisées dans des disciplines non-scientifiques, comme on en trouve beaucoup en Europe continentale, ou qui avantagent, par la liste des publications retenues, les établissements de pays anglophones ou qui publient massivement en anglais. Plus encore que les autres, et en dépit de ses nombreuses limites, ce classement est de fait devenu une sorte de métrique de la performance non seulement des universités concernées mais plus largement de celle de l’enseignement supérieur d’un pays en général.
Qu’en est-il de la France et des établissements français ? Dans l’ensemble, les Grandes Écoles de management s’en sortent particulièrement bien dans les classements du Financial Times, notamment pour leur programme de “Master in Management”, qui est le programme qui s’est le plus développé un peu partout dans le monde et notamment en Europe ces dix dernières années. L’expérience ancienne du “programme Grande Ecole”, qui pendant longtemps fut le seul proposé par ces institutions* et correspond aujourd’hui au Master in Management, l’investissement dans la recherche par un corps professoral très international, dans les infrastructures et dans l’internationalisation permettent de comprendre la durée de ce bon positionnement, malgré cette nouvelle concurrence.
Plus récente est l’évolution positive du classement des universités, notamment dans le classement de Shanghai. Si ce dernier est toujours dominé largement par les universités américaines, les britanniques y figurent en bonne place, les meilleures universités chinoises aussi, tandis qu’on ne trouve pas d’université allemande dans les 50 premiers de l’édition 2020. On trouve dans cette édition 3 universités françaises dans cette liste de 50 : Université Paris-Saclay (14e), PSL (36e) et Sorbonne Université (39e), qui sont toutes les trois le fruit des restructurations ou fusions importantes qu’a connues l’enseignement supérieur français ces dernières années qui ont amené universités et grandes écoles à rejoindre des structures commune, voire des universités à fusionner.
Si on regarde le classement par discipline, on voit même Paris-Saclay, gros pourvoyeur de médailles Fields, figurer au premier rang mondial. Notons que l’ancienne Université de Paris-Sud, ex Paris 11, dont est issue Paris-Saclay, était classée 2e en 2018 et 5e en 2019. Sorbonne Université, qui comprend notamment l’ancienne Paris 6, reste 3e comme en 2019.
Dans l’ensemble, ces classements sont un reflet déformant des rapports d’influence. Ainsi les Etats-Unis y dominent-ils plus largement encore que ne laissent percevoir les données économiques, et la Chine émerge à grande vitesse mais pas encore à la hauteur de ce que ce pays est devenu sur les plans politique et économique. Sans multiplier les analyses, y figurer en bonne place est donc un enjeu d’importance pour un pays, une sorte de gage de la vitalité intellectuelle, et pas seulement scientifique ou académique, donc de la capacité à peser dans les débats mondiaux. La position en progrès et parfois très bonne de l’enseignement supérieur français est donc encourageante et le rapprochement d’établissements dans de nouvelles universités semble avoir de ce point de vue eu un effet positif.
Quelles autres formes d’impact peuvent avoir ces classements ? Outre qu’une bonne position en recherche permet d’attirer toujours plus de chercheurs de haut niveau (les bons vont là où sont les bons), le recrutement d’étudiants internationaux devrait s’en trouver facilité. Dans ce domaine, la France a adopté il y a moins de vingt ans une stratégie offensive de recrutement international, qui demeurait jusque là l’apanage des universités de pays anglophones, l’Australie étant de ce point de vue bien connue pour avoir fait du recrutement d’étudiants asiatiques une source importante de revenus. Malgré une progression remarquable qui en a fait il y a peu le premier pays non anglophone d’accueil d’étudiants internationaux, avec une diversité d’origine bien plus grande qu’il y a vingt ans, grâce au recrutement en Chine, en Europe ou en Inde, la France a été récemment dépassée par l’Allemagne, dont les universités sont pourtant globalement moins bien classées mais qui propose notamment un nombre croissant d’enseignements en anglais. En abaissant la barrière linguistique, une université peut élargir son recrutement de professeurs-chercheurs mais aussi d’étudiants qui, en apprenant la langue française durant leur séjour, développent en général un attachement durable à tout ce qui est français, là encore un soutien précieux à une politique d’influence.
Ainsi l’enseignement supérieur est-il devenu un vecteur d’influence sur lequel travaillent de nombreux pays. Les classements sont-ils l’arme magique pour soutenir ce vecteur ? Ils y contribuent sans doute mais ne suffisent évidemment pas. Agréger des établissements dans une entité plus grande a un effet mécanique : les publications des chercheurs sont attachées à une seule unité qui pèse plus. Une politique de marque souvent associée à ces nouvelles entités (Sorbonne Universités en est un exemple), contribue à les rendre plus visibles.
Mais la taille ne suffit pas. Harvard est deux fois plus petite que Paris-Saclay en termes d’effectifs étudiants mais en tête des classements depuis 18 ans, Stanford est trois fois plus petite, mais ces universités disposent de moyens considérables : l’endowment de Harvard atteint à la rentrée 2020 la somme fabuleuse de près de 42 milliards de dollars, celui de Stanford atteint presque 30 milliards, malgré les effets de la crise sanitaire. Les produits de l’endowment représentent environ le tiers du budget annuel de l’université, l’effet de ce patrimoine qui ne cesse de grandir est donc à la fois considérable et durable. De notre côté de l’Atlantique, il y a peu d’alternative à un engagement majeur en faveur d’un financement à long terme de la recherche par des dotations publiques ou privées et à l’investissement dans des infrastructures de qualité.
C’est un effort certain mais plus efficace à long terme qu’une logique purement concurrentielle de course aux classements aux effets délétères : poursuivre cette voie de façon exclusive soumettrait les universités à une logique d’indifférenciation guidée par des critères de classement parfois aberrants, qui peuvent amener à confondre la fin (gagner en prestige et en influence) et les moyens (jouer avec les paramètres qui permettent de gratter quelques places).
La France a montré qu’elle pouvait briller dans un domaine d’influence au potentiel considérable dans lequel il est impératif de continuer d’investir.
Christian KOENIG
Secrétaire général
Ancien Professeur et Directeur des relations internationales à l'ESSEC
Octobre 2020
* La plupart des Grandes Écoles de management proposent une gamme de programmes, qui va du post-bac (bachelor) aux masters et mastères spécialisés, et parfois doctorat. Elles proposent aussi des programmes de formation permanente qui peuvent représenter une source importante de revenus.
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